16 novembre 2015

Le triomphe de l’armée syrienne à Kweires a fait dérailler l’invasion américano-turque de la Syrie


L’armée arabe syrienne (AAS) a remporté, mardi, sa plus grande victoire dans cette guerre qui dure depuis plus quatre ans, lorsqu’elle a repris la base militaire aérienne de Kweires, dans le nord de la Syrie. Des centaines de terroristes de Daech ont été tués dans d’intenses combats, tandis que des centaines d’autres ont été renvoyés vers l’Est pour se replier à Raqqa. Cette victoire a été annoncée à peine quelques heures après que le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a dit dans une interview avec Christiane Amanpour, de CNN, que la Turquie serait prête à envahir la Syrie si Washington acceptait de lui apporter un soutien aérien, de créer une zone de sécurité le long de la frontière turco-syrienne et de destituer le Président syrien Bachar el-Assad.

A présent que Kweires a été libérée, Davutoglu va devoir reconsidérer sa proposition, en prenant compte le fait que les bombardiers russes seront désormais tout près de la frontière, tandis que les troupes et l’artillerie [de l’AAS] seront positionnées de telle façon à rendre la traversée de la frontière avec la Syrie aussi difficile que possible. La fenêtre qui aurait permis aux troupes turques d’entrer en Syrie sans rencontrer d’opposition s’est refermée. Toute tentative d’envahir maintenant ce pays entraînera une résistance acharnée et de lourdes pertes.

Pour bien comprendre l’importance de Kweires, il nous faut jeter un coup d’œil sur l’interview de Davutoglu avec Amanpour, et voir ce qui était projeté. Voici un extrait :

Christiane Amanpour : La Turquie, dans les conditions idoines, accepterait-elle d’être une force terrestre ?

Ahmet Davutoglu : Une force terrestre est quelque chose dont nous devrions discuter ensemble. Une stratégie intégrée qui inclut une campagne aérienne et des forces terrestres est nécessaire. Mais la Turquie ne peut pas assumer seule cette charge. S’il y a une coalition et une stratégie intégrée très bien conçue, la Turquie est prête à participer sans réserve. »

C.A. : Y compris sur le terrain?

A.D. : Oui, bien sûr […] Nous devons résoudre la crise syrienne de façon exhaustive.

C.A. : Dois-je comprendre que vous dites que la condition pour que la Turquie soit plus impliquée serait un accord de la coalition pour chasser Assad ?

A.D. : Oui, et contre tous les groupes et régimes qui créent ce vide et ce problème. Nous assistons, de façon continue, la coalition dans la lutte contre Daech, mais ce n’est pas suffisant. Nous suggérons depuis des mois à nos alliés – et nous le réitérons maintenant – de créer une zone de sécurité et de repousser Daech loin de nos frontières.

C.A. : Alors, que pensez-vous des Etats-Unis, de l’Europe et surtout de la Russie qui disent qu’Assad doit et peut rester pendant un certain temps ?

A.D. : […] La question n’est pas combien de temps Assad peut rester, la question est quand et comment il partira […] Ce qui est la solution. La solution est très claire. C’est lorsque des millions de réfugiés syriens pourront retourner chez eux, à supposer qu’il y ait la paix en Syrie, que se trouve la solution. Et si Assad reste au pouvoir à Damas, je pense qu’aucun réfugié ne rentrera. Il faut une stratégie étape par étape, mais quel est l’objectif ? Quelle lumière au bout du tunnel, c’est ce qui est important pour les réfugiés.

C.A. : Pourquoi le gouvernement turc complique-t-il les choses au gouvernement américain pour armer, entraîner et utiliser les combattants kurdes comme leur force terrestre ?

A.D. : (nous ne compliquons pas les choses aux Américains pour ’utiliser les) « Kurdes », mais le PYD est une branche du PKK […]

Il existe un autre groupe kurde, les Peshmerga. Nous avons autorisé les Peshmerga à passer par la Turquie pour se rendre à Kobani, afin d’aider Kobini à être libérée. Si les Etats-Unis veulent armer des combattants kurdes sur le terrain contre Daech, nous sommes prêts. Mais pas les terroristes kurdes comme le PKK. S’ils veulent armer et aider [Massoud] Barzani ou les Peshmerga, et les aider à aller en Syrie, nous sommes prêts à aider. Mais tout le monde doit comprendre que le PKK, aujourd’hui, attaque nos villes, nos soldats et nos civils. Nous ne tolèrerons aucune aide que ce soit aux groupes liés au PKK à l’intérieur de la Syrie ou de l’Irak. Si cela se produit, la Turquie prendra toutes les mesures appropriées pour l’arrêter. (“For refugees to return, Assad must go, says Turkish PM“, CNN)

Récapitulons ! Bien que la coalition emmenée par les Russes conduise des opérations militaires majeures en Syrie, la Turquie est prête à envahir, sous réserve que Washington satisfasse ses exigences, des exigences qui n’ont jamais varié et qui font partie (comme nous l’avons dit dans des articles précédents) d’un accord secret pour l’utilisation de la base aérienne d’Incirlik, afin que l’US Air Force puisse mener des sorties dans le ciel syrien.

Quelles sont les exigences de la Turquie ? 
 
Une zone de sécurité du côté syrien de la frontière turco-syrienne.
Une zone d’exclusion aérienne, là où les troupes turques mènent des opérations.
Un engagement à éliminer Assad.

Pendant un temps, il a semblé que l’administration Obama aurait pu abandonner son alliance avec la Turquie et se joindre au PYD (les Kurdes) dans leur effort de créer une zone tampon, où ils pourraient abriter, armer et entraîner des militants sunnites pour continuer les hostilités en Syrie. En fait, Obama est allé jusqu’à larguer, il y a encore 10 jours, des palettes entières d’armes et de munitions aux milices du Parti de l’Union Démocratique (PYD). (Notez : Les Etats-Unis ont déjà arrêté tous les acheminements d’armes vers le PYD.) On ne sait pas si Obama l’a fait pour forcer la Turquie à jouer un rôle plus actif en Syrie. Mais ce que nous savons est qu’une alliance turco-américaine est plus redoutable qu’une alliance US-PYD, raison pour laquelle Washington envisage de trahir les Kurdes pour joindre ses forces à la Turquie.

Un autre signe que les relations entre les Etats-Unis et la Turquie ont commencé à se dégeler est le fait qu’Obama a appelé le président turc Recep Tayyip Erdogan pour le féliciter de la victoire de son parti, huit jours après les élections. Ce délai suggère qu’ils étaient en train d’aplanir leurs différences avant toute expression de soutien. Erdogan avait besoin d’une victoire écrasante pour consolider son pouvoir au parlement et persuader les gradés de son armée qu’il a un mandat pour conduire sa politique étrangère. L’appel téléphonique d’Obama était destiné à paver la voie à des négociations secrètes qui se seraient déroulées lors des rencontres du G-20 à Ankara, la semaine prochaine. Mais maintenant que la coalition russe a repris Kweires, il est impossible de savoir comment les Etats-Unis et la Turquie vont procéder. Si les bombardiers et l’artillerie de Poutine sont capables de fermer la frontière, alors Washington devra renoncer à son plan consistant à saisir une bande de 100 km à la frontière nord de la Syrie, nécessaire pour maintenir ouvertes les lignes d’approvisionnement vitales des djihadistes soutenus par les Etats-Unis, ou pour assurer un sanctuaire aux mercenaires qui reviennent de la ligne de front. Les données militaires qui ont changé sur le terrain rendent impossible de défendre une zone de sécurité.

Le fait est que Kweires change tout. Daech est en déroute, la myriade d’autres organisations terroristes perdent progressivement du terrain, Assad est en sécurité à Damas, les frontières seront bientôt protégées, et le plan d’invasion américano-turc a été effectivement déraillé. Excepté une catastrophe extraordinaire et imprévisible qui pourrait renverser le cours des événements, il semble que la coalition emmenée par la Russie finira par atteindre ses objectifs et remporter la guerre. Washington n’aura alors d’autre choix que de retourner à la table des négociations et faire les concessions nécessaires pour mettre fin aux hostilités.
 
Par Mike Whitney. Article publié le 11 novembre 2015 dans CounterPunch: US-Turkey Invasion Derailed by Syrian Army Triumph at Kuweires

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