22 septembre 2017

JSF : le simulacre devenu bouffe & avatar


L’aventure du JSF est comme un script d’Hollywood : fascinante, passionnante, et pourtant conforme à ce qui était prévu. Le JSF était conçu au secret de lui-même, nous voulons dire inconsciemment mais avec une bonne conscience active, pour être une catastrophe et il est effectivement une catastrophe.

Nous en sommes actuellement au Block 3F, nième version ou plutôt sous-version des modèle-mères, s’égrenant à mesure que des modifications/améliorations sont introduites. C’est justement là le nœud du problème, ces sous-versions s’empilant “à mesure que des modifications/améliorations” sont introduites. La catastrophe du JSF a deux facettes qui, toutes deux, renvoient à l’hybris de la modernité et du technologisme, et aux traits psychologiques originellement de l’homo americanus, transmis en général à l’homo postmodernicus : inculpabilité et surtout indéfectibilité (incapacité de se concevoir autrement que vainqueur en toutes choses).

• La première, c’est la décision d’abandonner la formule classique de l’aviation de la fabrication d’un certain nombre de prototypes puis d’appareils de pré-production, pour tester le concept, l’équipement, etc., relever les fautes, les faiblesses, etc., les corriger et les inclure directement dans le modèle de production. Dans le cas du JSF, il était tellement assuré que la machinerie informatique détenait la clef du secret du Graal que l’on décida que la conception ne laisserait passer ni erreurs ni faiblesses, et qu’on pouvait faire l’économie des prototypes et de la pré-production, pour démarrer immédiatement sur la production. Outre d’être le meilleur avion de combat du monde à venir, le JSF était donc une machine à économiser de l’argent, un cas d’épure de la rentabilisation par la postmodernité.

• La seconde faiblesse découle de la première et se décline selon cette croyance absolue dans la toute-puissance de la technologie. Cette croyance a déterminé le processus audacieux selon lequel le JSF tel qu’il était conçu par l’informatique de Lockheed Martin [LM] serait directement l’avion opérationnel et prêt au combat, et destiné à devenir le seul avion de combat “sérieux” du XXIème siècle.

Toutes ces prévisions se sont avérées évidemment complètement erronées parce que bien trop modestes, et les JSF déjà produits (plus de 200) doivent pour l’instant être soumis à un nombre vertigineux de modifications dont certaines structurelles (150 à 160 modifications en tout selon l’amiral Winter, qui commande le JSF Program Office [JPO] et reste très optimiste). Le programme de modifications est d’une telle importance que le “gang du JSF” au sein du Pentagone s’interroge pour savoir s’il ne serait pas plus avantageux d’affecter ces “vieux” JSF à des tâches annexes, comme l’entraînement et l’affectation à des unités d’“agresseurs” (avions figurant l’adversaire dans les campagnes d’entraînement au combat, ou “combat simulé”, l’adversaire supposé loyal en plus d'être élégant étant alors doté d’un avion qui n’a aucune des caractéristiques requises pour faire un avion de combat).

Les nouvelles que donnent Winter (discours le 19 septembre au colloque biannuel de l’Air Force Association [AFA]) et d’autres sources “sûres” telles que LM soi-même, sont néanmoins débordantes d’optimisme. Par exemple mais exemple essentiel, la production du JSF est en pleine accélération : 46 en 2016, et un rythme de 130 par an à partir de 2018. En général, un tel rythme signifie une complète confiance, à la fois dans l’architecture et l’appareillage technique et technologique de l’avion, à la fois dans ses capacités de combat. On doit noter que c’est peut-être le cas (on parle de la confiance).

« A côté de cela, observe Jen DiMascio dans le Aerospace Daily & Defense Report de Aviation Week & Space Technology du 20 septembre, le programme doit “jongler” avec de multiples configurations de l’avion, non seulement parce qu’il y a les trois versions différentes [des trois armes...], mais aussi parce que la production a commencé avant que les vols d’essai soient terminés. Ce problème, connu sous le terme de “concurrence”, continue à contrarier la capacité des militaires à stabiliser le programme, du fait qu’il faudra beaucoup de travail pour amener les plus vieux F-35 [déjà produits] au standard nécessaire pour avoir la capacité de combattre. »

L’amiral Winter expose donc ces problèmes de “mise à niveau” qui ne seront peut-être pas faites des “vieux” JSF, exprimant la chose avec une sorte d’appétence technologique et industrielle, comme s’il s’agissait d’un nouveau défi à relever et d’une nouvelle prouesse industrielle et technologique : « Notre programme de modifications est quasiment aussi excitant [que notre programme de production] et il est beaucoup plus important. » Donc, pour cette raison (?), on envisage ces autres options dont nous parlons plus haut, d’utiliser les “vieux” JSF pour des tâches complémentaires. (Mais il ne semble pas être question d’aller jusqu’à les envoyer à la casse, quoique la chose, pour audacieuse qu’elle paraisse, nous semblerait une novation remarquable dans le domaine de la rentabilisation du technologisme : retirer du service un avatar qui n’a même pas daigné y entrer...)

De son côté, et au même colloque, le Général David Goldfein, chef d’état-major de l’USAF nous a expliqué que l’on discutait intensément avec tous les chefs d’état-major des forces aériennes ayant reçu des JSF (UK, Japon, Israël, Pays-Bas), qui sont donc priés de ne pas utiliser leurs beaux joujoux qui de toutes les façons ne marchent pas ; l’on verra avec eux s’ils veulent faire faire les mises à niveau ou bien, pourquoi pas, en acheter des tout neuf en affectant ceux qu’ils ont déjà à l’école de vol à voile du coin. Et Goldfein de nous assurer qu’ainsi est né une sorte de nouveau métier, qui est celui de spécialiste en retrofit du JSF (« You’re going to see us continuing to do a business-case analysis of retrofit of these aircraft »)... Tout cela, – bien entendu, est-il nécessaire de le rajouter ? – sans aucune garanti, strictement aucune, que le Block 3F soit capable d’effectuer des missions de combat avec des choses qui font “pan-pan”, comme dans les films de cow-boys. Il ne faut pas oublier que le JSF est une loterie, où seuls les croyants exceptionnels ont la chance d’approcher un exemplaire qui vole et qui fait “pan-pan” en cas de combat (mais on signale qu'il a déjà accompli cete performance dans un film où tournait Bruce Willis, un Die Hard numéroté).

... Il ne faut pas oublier non plus que le JSF est un monde en soi, un monde clos, un simulacre absolument achevé, tracé d’un trait ferme et avec un esprit débordant de joie de vivre et d’espoir dans le futur de notre Progrès postmoderne. Ainsi le fait de trouver des douzaines et des douzaines et des douzaines de modifications à effectuer au cours des vols d’essai qui suivent le début de la production, pour être plus exact que DiMascio (mais aussi parce que la production a commencé avant que les vols d’essai [n’aient commencé]... »), ainsi ce fait devient-il une sorte de vertu d’excellence, une preuve de conformité aux lois libérales-économiques, – puisque les modifications entrent dans la catégorie “concurrence”, – et nullement, comme le pékin moyen pourrait croire, dans la catégorie “connerie à modifier d’urgence”.

(Et d’ailleurs, cela, il faut le répéter encore et encore, sans garantie que les modifications seront gagnantes et suffisantes ; “les essais post-modification” nous en diront plus là-dessus. Peut-être entreront-elles, elles aussi, dans la catégorie “concurrence”, avec le constat que de nouvelles modifications seraient nécessaires, – “modifications de modifications”, ou “retrofit’s retrofit”, et cela pour des générations et des générations à venir.)

Ainsi le simulacre se double-t-il d’un second simulacre, comme une double armure pour protéger le programme des injustices des commentateurs venimeux. Il y a le programme de production, doublé désormais du programme des modifications, bien aussi “excitant” que le programme de production et beaucoup plus considérable. La nouvelle fonction de “spécialiste en retrofit” devient ainsi bien plus importante que celle du banal gestionnaire de la production. Le programme JSF se double d’un super-programme d’un super-JSF rétrofité, les “vieux” JSF qui étaient déjà fantastiques sont complètement dépassés par les super-JSF rétrofités... Ainsi pour le prix d’un JSF aurez-vous le droit de sortir l’argent nécessaire à l’achat d’un super-JSF rétrofité ouvrant la voie à d’autres achat du même devenant lui-même à rétrofiter d’urgence parce que ne volant pas ni ne faisant “pan-pan”...

Le JSF nous laisse sans voix ni choix, parce que nous n’avons pas voix au chapitre, nous qui avons montré une constante suspicion et une appréciation critique de ce programme, et qu’ils n’ont pas le choix, les fins esprits qui ont passé commande de la chose. Nous n’avons pas compris qu’avec le JSF, le simulacre non seulement est parfait, mais qu’il est double et même au-delà, et qu’il est aussi séduisant et efficace que le mouvement perpétuel. Il ne sera jamais ce que la rumeur prétend qu’il est (un avion de combat) parce qu’il se découvre sous son vrai visage, d’une sorte de “mouvement perpétuel” pour atteindre le Graal de l’aviation de combat, c’est-à-dire un F-35 qui n’a nul besoin de voler ni de faire “pan-pan” ; comme s’il était une sorte d’Immaculée Conception de l’aviation de combat. Cette ambition (voler et faire “pan -pan”) était bien trop triviale et, si l’on peut dire pour un avion de combat, trop terre-à-terre pour cette “production” qui porte en fait sur un simulacre qui est en vérité un Avatar, au sens du sanskrit qui indique ainsi une “incarnation divine”.

En attendant et pour parer au plus pressé, comme l’indique un lecteur-commentateur et pince-sans rire de l’article de DiMascio, au lieu de vendre des pseudo-JSF aux heureux bénéficiaires non-US, et pour ne pas pousser LM à la faillite, vendons donc les “erreurs du F-35” aux gouvernements étrangers (« In order not to bankrupt Lockheed, sell the F35 mistake to foreign governments »).

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